1999 / 2000

Pierres habitées

Il m’était apparu que l’œuvre est creuse…

… en réfléchissant à la question de l’universalité des messages et de leur présentation dans le domaine des arts plastiques sans représentation. Que dire qui s’adresserait à chacun ou comment dire une chose sous une seule forme de manière à être entendu de tous ou du plus grand nombre ?, face à un dédale de formes et d’expressions, de centres d’intérêts et de cultures, mais face aussi à un nombre réduit de sujets à caractère ou à portée universels.

La quête n’est elle pas illusoire ? Comment dire grand ou vite ? Haut ou spécifique ? Comment dire ça, ici ou là, qui veuille dire grand ou vite, haut ou spécifique pour tous, ça, ici ou là ? A multiplier les paramètres significatifs pour s’adresser à tous en remplissant le support quel qu’il soit de notations propres et décryptables pour chaque culture individuelle ou de groupe, on atteindrait un seuil d’illisibilité qu’un accumulateur, nouveau facteur, serait seul à pouvoir justifier sans pour autant pouvoir défendre qu’il ne dit qu’une chose autre que le temps ou l’excès, et ce de manière telle qu’il serait sûrement perçu. Les paramètres donnant accès à un contenu doivent donc être peu nombreux pour limiter le nombre d’interprétations possibles.

Mais l’idée de réduire l’expression au plus petit nombre possible de messages n’est pas nouvelle et l’épuration de la forme qui lui est consécutive connue. Des représentations ont traversé l’histoire qui tentaient de signifier l’essentiel au moyen de formes minimales et débarrassées, justement, de l’inessentiel. Pour autant, la boule qui signifie boule, la déambulation permise dont on retiendra l’idée de présence, de passage ou de mouvement et dont le spectateur n’aura probablement pas conscience avant qu’on ne le lui explique par d’autres moyens, la proposition d’une participation qui a pour but la modification de paramètres, l’interactivité : rien de tout cela ne peut se rendre perceptible en tant que sujet au moyen d’images seules et s’adressant à tous.

Parvenu ici et après avoir travaillé des formes dans l’idée de suggérer une idée unique au moyen d’une forme elle-même simple et homogène, irréductible à autre chose qui porterait le même sens, l’idée de creuser a commencé à prendre la forme mentale d’un creux dans la pierre et d’une oeuvre qui serait débarrassée de tout, y compris de sa forme mais additionnée de ce questionnement : jusqu’où en art l’intention peut elle être équivalente à l’acte ?
Moi qui m’interroge sur cette absence et ses limites, j’ai parcouru le chemin qui ne passe en guise de signe distinctif que par mon paraphe, démesurément agrandi et gravé dans la matière. A peine lisible déjà, le signe a disparu avec le support qui s’est effrité sous mes yeux en quelques mois : en même temps que disparaissait l’illisibilité même se profilait pleinement la seule et belle absence…
Ici est née l’idée que l’œuvre est creuse parce que presque immédiatement s’est formée l’image du spectateur qui ne projette en réalité qu’une partie de lui-même ou de son imaginaire sur une image qui l’autorise. Et s’il y a bien la place pour d’autres propositions, ce n’est pas pour autant que l’auteur les y a mises. L’œuvre apparaît telle un creuset, une chambre d’écho qui ne renvoie rien d’autre que ce que l’on est en mesure d’y recevoir par soi. Ce que le spectateur croit matériellement voir n’est qu’un des reflets possibles de sa propre pensée ou de lui-même.

Ainsi, l’exemple de ces oeuvres dont on dit qu’elles trahissent tel ou tel autre aspect inconscient de la personnalité ou des préoccupations de leur auteur, inscrites malgré lui dans le cours des processus d’élaboration n’est que partiellement juste. Plus souvent que la révélation de ce que l’auteur est intimement, c’est une partie de ce qu’il peut qui est d’abord visible. Ce que nous percevons, c’est une interprétation par effet retour de ce que nous, spectateurs, projetons sur l’œuvre que nous regardons, béats d’avoir compris. Venue de nous-mêmes et de notre propre espace mental, l’image perçue peut aisément avoir l’aspect d’un reconnaissable trompeur qu’il est bien simple de projeter sur autre chose, pour ne pas dire sur quelqu’un d’autre.
L’image agit de la même manière qu’un miroir dont on voudrait croire qu’il s’agit d’un autoportrait. Il s’agit effectivement d’une sorte d’autoportrait, partiel et ponctuel qui fait état d’une intention à partir d’un être et de moyens, toutes choses inaccessibles en l’absence d’une analyse plus fine et prolongée que le simple coup d’œil. Mais le constat de cet état (de l’autre, l’auteur) n’est pas si facilement accessible et décodable. Il appartient à l’artiste s’il le désire ; il est ce que l’œuvre lui permet, relativement à son propre apprentissage.

Quoi ! Un auteur passerait des années à observer ses limites et à travailler un médium, à acquérir la maîtrise de ses outils et de son langage ; il passerait des jours ou des mois à canaliser sa pensée, corrigerait, modifierait une oeuvre qu’il regarde en permanence et étudie, compose et met en forme, sans pouvoir dire plus que dans un jet de pisse ? En l’absence de texte explicatif, la vision primaire à laquelle renvoie une oeuvre est un indicateur qui concerne d’abord le regardeur. Elle doit être un des moyens conscients de la reconnaissance de soi et de son propre état dans la projection qui en est faite sur support donné : Ce que je sais reconnaître, c’est moi !

Ne jugeant plus possible de m’adresser à tous, à moins de ne rien dire au moyen d’une forme qui pourrait servir de support sans garantie de ne pouvoir atteindre qu’un but, j’ai donc décidé de réaliser des contenants et d’étudier, en déposant dans quelque cavité cette interrogation : Qu’est-ce qu’on met dedans ? Qu’est-ce qu’on projette et dans quoi ? Les réponses apportées sont personnelles, ponctuelles et disparaîtront comme ont disparu les oeufs de pierre…

Reste ceci. Un artiste est un médium, qui enfermé sur lui-même et apte seulement à ne s’ouvrir aux mondes que quelques instants, absorbe et restitue ce que son entourage lui a envoyé et lui envoie, modifié par sa pensée. Plus il s’ouvre plus il perçoit le bruit confus mais lisible du monde, comme s’il s’agissait d’une symphonie dont il décrypterait les notes, ainsi que la composition. Ce faisant, c’est probablement l’une des conditions de l’œuvre, il exprime, outre son sentiment, une idée, une partie de ce qu’il est et, en plus de son sujet, le monde à l’instant où il est. L’intériorisation de la pensée, la réceptivité, le travail, produiront parfois comme un état de grâce, où tout ce qui est dit vaut là simplement pour tous ou pour un très grand nombre. La plus grande maîtrise se sera résolue dans la plus grande liberté, le flot aura coulé. On ne peut le prévoir mais dans ce qui est dit et fait il y aura tout un monde.

Un vaste espace intérieur disponible, une grande maîtrise, une grande liberté offrent des possibilités de s’adresser à la pointe de son temps et de son fait, illusoirement à tous, à l’avant quelle que soit la position, fasciné et à l’écoute du paysage. Dans les faits un artiste transmet la fonction de ce qu’il est. L’œuvre, elle, se refermera sur elle-même, si l’on s’avise de la remplir excessivement.

« Lieux Communs »
Exposition – Galerie Laizé
Bazouges la Pérouse
juin 1999

Extrait du texte de présentation de l’Exposition  » Lieux Communs « 
exposition de sculptures et installations
Galerie Laizé

Marc Simon est à l’origine du thème « Lieux Communs ». A partir de ce mot à double sens, son travail de la pierre s’est orienté autour de ces lieux communs à tous, lieux de passage, de rencontre, de partages… qui rythment nos vies et nos itinéraires.
Les limites, grilles-frontières et les murs-mêmes, deviennent sujets de lumières où chacun est libre de choisir sa liberté mais aussi son enfermement… Les champs visuels peuvent s’élargir ou diminuer par la multiplicité des coupes, la suggestion des formes, des idées… Des maisons troglodytes aux ruches animées, d’une prison symbolique à un lieu de prière intime et serein, il tisse ici un lien d’humanité d’un spectateur à l’autre, titillant, provocant notre imaginaire dans ce qu’il a de plus large ou de plus singulier. La sculpture devient alors un lieu commun, ouvert sur le monde, vivant. »

Anne Burlot-Thomas – Bazouges-la-Pérouse – juin 1999

Grilles, ouvertures

Cellules

L’habitat des abeilles travailleuses

Locus II. II-1

Locus III. III-1
(l’intérieur de l’œuf)

Pour un pays envahi

Rouge !

« Locus IV, la pierre dans la pierre »
Saint Jean de Maurienne
juillet 1999

Gypse, schiste, anhydre

Un oeuf de pierre, creusé par des alvéoles de format carré ou rectangulaire, contraste par les lignes rondes qui le composent avec les droites des ouvertures : trois niches à l’avant, une à l’arrière. Les fines parois de pierre qui séparent ces dernières au cœur du bloc sont percées de trous destinés à laisser passer la lumière.
Au cours de la présentation de la sculpture au public, d’autres pierres ont été placées à l’intérieur des niches, trois oeufs polis qui laissent apparaître leur couleur : l’un en gypse blanc, un autre en schiste vert, le troisième en anhydrite grise. Deux d’entre eux sont disposés sur un lit de schiste vert broyé en fine poudre.
La disposition des oeufs est commandée par le jeu simple de la juxtaposition des couleurs : l’œuf blanc repose sur un lit de poudre verte, la pierre verte est posée directement dans son alvéole grise, l’œuf gris a été placé sur de la poudre verte, à l’intérieur de l’ouverture située à l’arrière, très blanche.
La sculpture évoque les lieux communs, lieux de rencontres et d’échanges, les espaces « habités », témoins de la présence ou du passage autant que de la genèse des choses. Les petites pierres, symboles et marques de ce passage ont aujourd’hui disparu : ne subsistent au creux des alvéoles, à la manière d’idoles dérobées, plus que leur souvenir et une idée. Cette idée, c’est la couleur.

(P. A., mai 2000)

« Wandering about stones »
Langholm – Ecosse
septembre1999

Granit et sandstone

Travailler la pierre pour la sentir et éprouver sa résistance, creuser pour y déposer une idée et déposer… d’autres pierres. Pierres en couleur, pierres de la région, tendres, comme ne le sera jamais le granit à moins que de nouvelles machines…
La pierre dite sandstone a été utilisée pour tracer, puis pour recouvrir une partie de la surface du granit d’Ecosse. C’est elle aussi qui a servi à peindre le fond des deux niches avant d’être posée à l’intérieur. La raison de mon voyage à Langholm était l’utilisation possible de ces deux matières ; la participation de matériaux issus d’un lieu est l’une des raisons d’être de ces « locus ».
Creuser, c’est un façonnage local, plus rapide qu’une mise en forme. C’est un des moyens les plus immédiats de l’intervention. C’est aussi ouvrir. En ne remplissant pas en totalité l’espace dégagé, en ne le refermant pas derrière moi et en n’y déposant que mon interrogation, je permets à quiconque d’y déposer la sienne…

Langholm, septembre 1999

Exposition « Mise en Boîtes »,
Galerie Thébault,
novembre 1999

La petite poule

Un secret

J’habite sur la grève d’une mer agitée

« Locus VI »
Gahard
juillet 2000

Gypses et terres de couleur jaune, bleue, rouge.

« Locus VI » est une pièce de recherche. Elle poursuit le travail entamé avec « Locus IV, la pierre dans la pierre » (gypse, schiste et anhydrite), réalisée en juillet 1999 à St Jean de Maurienne et «Wandering about stones » (granit et sandstone), réalisée en septembre 1999 à Langholm en Ecosse.
Comme les précédentes, cette pièce comporte des ouvertures carrées ou rectangulaires superposées : des niches, à l’intérieur desquelles a été disposée de la terre colorée, comme ailleurs d’autres pierres, de la poudre de terre ou de pierre broyée.
Son propos formel réside dans un certain équilibre de la composition et dans l’association de couleurs dont la présence est déterminée par la notion de poids, équivalent intuitif, visuel, de la capacité d’un objet à occuper un espace … Cette préoccupation fait suite à l’utilisation de pierres disposées à l’intérieur de niches qui, quoique disposées à partir des mêmes principes de composition, étaient plus une évocation de la présence ou des témoins du passage. Tous ces dispositifs néanmoins, trouvent une origine commune dans un écho fait aux cailloux, humbles et discrètes marques du passage que l’on retrouve sur les sépultures de confession israélite ou chrétienne orthodoxe.
Les sculptures à niches » habitées » suivent une série d’œuvres aux ouvertures plus nombreuses et parfois reliées les unes aux autres au cœur de la pierre, qui étaient une évocation des lieux communs, des espaces intérieurs partagés par d’hypothétiques troglodytes, moines ou prisonniers en cellules.
Elles précèdent une autre série, de monolithes cette fois, colonnes, totems ou sémaphores, toutes formes en élévation sur lesquelles les niches en creux ont fait place à d’autres, rectangles ou carrés en saillie… Les creux multipliés des premiers espaces intérieurs, vides de toute présence, ont ainsi fait place à des niches investies de petites pierres comme témoins libres de la présence effective ou passée ; de même que les niches ont fait place à leur tour aux carrés et aux successions de carrés en relief, symboles eux de la place originale ou reliée d’un événement à l’autre dans l’histoire.
Ces éléments portent la trace de mon interrogation sur l’intérêt, la grandeur ou la petitesse de ce que l’on investit dans l’art et les cultes : projections individuelles ou de société, espoir ou illusion du grand, du beau, du vrai, du bon, du sacré et bien évidemment du pérenne.
L’exemple récent et accablant de la destruction des grandes figures du Bouddha en Afghanistan me renvoie à ces mêmes questions : Quelle est la nature du culte voué aux idoles? Que déposons nous de nos désirs au creux des espaces qu’on leur attribue ? Quelle trace une « niche » conserve t-elle de l’idée dont on l’investit ?

Troyes – avril / mai 2001

« Trois pierres, trois millénaires »
Liffré, 2000.

Interprétation provisoire du champ de ruines avant l’automne, image numérique.

« Territoires »
Exposition de pierres comprises comme repères signalétiques
d’un espace physique ou mental,
d’un champ opératoire
Chavagne 2001

Sans titre, vue d’ensemble et détail, gypse, 2000

Variations XIV et ST

Territoire

Variation verte

Le grand cerf rouge

Creuse

Dehors en saillie,
Creusé comme en devenir et habité déjà,
La forme inessentielle à contenu…

Trouver l’origine,
Mettre quelque chose dedans…

L’art possède une valeur parce que la plupart des hommes, hormis les sages,
désirent ce qu’ils n’ont pas.
Obtenir ce que l’on désire c’est risquer de ne plus désirer,
déplacer, rendre ce qui n’a plus de valeur peu désirable.

L’art est là et porte le symbole :
donner pour obtenir en un sens,
accepter de perdre bien sûr et s’enrichir
Vecteur, témoin, refuge de toutes les lectures